Spectacle "Ma Colombine"

Sortie au TKM (Théâtre Kléber-Méleau) pour Ma Colombine de Fabrice Melquiot et Omar Porras

Vendredi 15 mars 2019. Grâce à la Ville de Renens, devenue partenaire du Groupe Françoise Héritier en cours de route, nous parvenons à ajouter une étape à son parcours.
Laura et Florence, médiatrices ordinaires du groupe, ne pouvant se libérer, c’est moi qui accompagne les participant.e.s déjà rencontré.e.s à l’occasion de la projection du film de Kore-Eda au Zinéma de Lausanne.

La soirée débute par une inquiétude… Nous avons rendez-vous – le Groupe Françoise Héritier et moi avant la représentation – et le métro lausannois connaît quelques difficultés électriques…
Mon avance sur l’horaire fond gentiment mais sûrement.J’en alerte Natasha Miéville, « la » relai de l’association AFQM.
Malgré mon laborieux trajet, j’arrive à l’heure, mais – ce que je voulais éviter est advenu – le groupe est déjà là… Il me toise d’un œil rieur tout en tapotant du doigt sur le cadran de la montre !
Je salue chacun.e ; Anna – qui se rappelle mon prénom (et même ma ville d’origine !) – teste ma mémoire et me demande si je me souviens du sien. Cruel mais légitime examen que je réussis : ouf !
Je file prendre nos billets : l’administration du TKM nous a réservé de magnifiques places, dans la première partie du gradin, au centre d’une rangée !

Nous prenons des nouvelles les un.e.s des autres et en quelques mots, je raconte la généalogie de Ma Colombine, la rencontre de Fabrice Melquiot et Omar Porras, le retour de ce dernier sur la terre de ses origines.
Le groupe cherche à interpréter le titre : bientôt sont spontanément évoqués Pierrot et la lune… : l’intuition est tout à fait pertinente !
Je glisse, encore, une réflexion susceptible de nous accompagner dans la réception de la pièce : notre identité tient-elle à nos origines ou est-elle projective, tient-elle davantage à nos rêves ?

Il est bientôt l’heure. Sur les conseils d’une personne de l’accueil du TKM, l’une des participantes file aux toilettes. Le groupe gagne ses places en longeant la scène. Comme le chemin est constitué de quelques marches et qu’en certains passages, l’obscurité le dispute à la lumière, je prends la main ou donne le bras à quelques participantes. Petite attention, petit contact qui me vaut la gratitude appuyée de ces dames.
Nous sommes assis, Omar Porras – directeur des lieux – parcourt les travées et incite vertement mais drolatiquement chacun.e à prendre sa place. Petit à petit, il se mue en Oumar-Tukak – le personnage dont l’histoire va nous être contée.

Le spectacle vaut par sa poésie (maintes images émaillent le texte) et par la qualité de la gestique de l’interprète (notamment dans l’épisode du soldat malhabile à reproduire la mécanique disciplinaire ; dans celui du premier trajet en métro – moins laborieux que le mien (…) – et dans l’arrivée chez Liliana, la séduisante introductrice de l’exilé-clown colombien à Paris).
Plusieurs passages du spectacle révèlent la modestie des conditions de vie d’Oumar. Ainsi, son accès à la lecture et à l’écriture crée une forme de distance avec ses parents – lesquels tendent à le considérer désormais comme un étranger, plus exactement comme un « cochon domestique ». Mentionnons encore cette réflexion de l’exilé : quelle est le meilleur moment de la journée pour remplir sa panse ?
La Colombie est dans un état tel, nous dit le personnage principal, que le Paris évoqué par la libraire colombienne – la capitale des poètes, des chansonniers, des baguettes croustillantes et autres croissants beurrés – fait contraste.
Séduit encore la précision des lumières et du son qui, en un effet, agrandit ou réduit l’espace, nous déplace ou remplace un accessoire.

Assise à mes côtés, Arlette commente le spectacle, surtout en son début. Ce qui irrite certain.e.s de nos voisin.e.s. Toutes ses réflexions, cependant, font cas de ce qui se passe sur scène voire réagissent aux interpellations de l’acteur (qu’il est loin le temps où les salles étaient allumées et animées comme de francs lieux de vie). Vers la fin du spectacle, voilà qu’Arlette peine à respirer et semble étouffer : je lui donne une pastille et Mélanie lui tend une bouteille d’eau : tout va mieux et la représentation file heureusement vers son terme.
Tandis que l’assistance est au sommet de son attention, Oumar nous dit aspirer à un rêve qui dure toute la vie et confie se voir quand il mire les regards des présent.e.s.
La salle applaudit chaleureusement l’acteur. Notre groupe est à l’unisson.

Nous regagnons le chaleureux foyer du TKM et trouvons une large table, fort hospitalière et bien située (c’est-à-dire près du bar…). Nous commandons thés des fées, chocolats chauds, limonades maison, empanadas (une découverte pour plusieurs), Dulce de leche (idem), financiers et autres tartelettes avant de partager nos sentiments, questionnements et appréciations.

« La lune est partout la même » glisse Arlette, avec profondeur, avant de faire part de son irritation : le personnage a jeté son natel par terre à un moment donné ; c’est un manque de respect.
Je lui demande si elle se rappelle de ce que lui annonçait l’appel. La mort de sa sœur, répond Nadine. Et fais remarquer que dans les grandes tragédies, il arrive souvent que les puissants s’en prennent au messager quand l’information qu’il communique ne leur convient pas.

Anna souligne la grande mémoire du comédien de ce soliloque. Et sa capacité à retenir des noms latino-américains longs comme des poèmes.

Nadine s’arrête un instant sur la précision du geste de l’acteur : notamment quand il mime le timbrage d’une lettre. Elle a ri aussi lorsque face à un immeuble, il se trompe de sonnette… et tombe sur maints autres locataires plus ou moins célèbres (Platini, Chantal Goya – certainement, la fille du fameux peintre…) !

Cathy est ravie : elle est tombée sur d’anciens voisins – perdus de vue depuis près de vingt ans.

Enfin, le comédien nous fait l’honneur d’une effusion : avec grand naturel, chacun.e lui glisse un compliment, l’interroge sur tel ou tel détail de son jeu. On revient en particulier sur des moments d’une saveur particulière où l’improvisation est reine : ainsi celui qui voit Oumar bécoter une spectatrice du premier rang, par surprise !

Nous nous prenons une dernière fois les un.e.s les autres dans les bras. Avec le sentiment d’avoir partagé sentiments et compréhension, légèreté, poésie, complicité tendre – au cœur desquels se sont dévoilés, pourtant, un destin, une souffrance sociale mais aussi une détermination : celle, inexorable, des rêves suffisamment vastes pour qu’on ne les perde pas de vue.

Parcours lié