Rencontre avec Hanane Karimi
Rencontre avec Hanane Karimi – Théâtre Vidy, 7 mars 2019
Le bureau de Rosi, la costumière du Théâtre de Vidy, a été le décor parfait pour cette rencontre avec Hanane Karimi. C’est entouré-e-s de masques, perruques, costumes et accessoires divers, que nous avons écouté cette femme remarquable nous parler de son combat et de la manière dont, un banal morceau de tissu, a changé sa vie et symbolise aujourd’hui un combat universel.
L’intellectuelle
Hanane Karimi est une sociologue et militante féministe française. Elle a obtenu son doctorat à l’université de Strasbourg le 21 septembre 2018 où elle enseigne à ce jour. Ses sujets de recherches abordent principalement la racialisation politique des femmes musulmanes en France. Elle questionne notamment les conséquences excluantes de la loi de 2004 contre les signes religieux à l’école et estime qu’il s’agit d’une loi discriminatoire. Elle s’implique en parallèle dans les cercles musulmans afin de faire évoluer les mentalités et les pratiques. En France, Hanane Karimi est un des visages du féminisme décolonial universitaire. Proche de la pensée de Christine Delphy, elle ne prône pas le voile mais le droit à l’autonomie pour toutes les femmes. Pour la sociologue, le militantisme académique est une posture assumée et réfléchie : « Diffuser la vision de ces femmes, être sociologue, c’est tout aussi important. C’est une partie de mon militantisme aujourd’hui ».
Au-delà des préjugés
Il y a des rencontres qui ne nous laissent pas indifférent-e-s, qui nous poussent à revoir nos catégories, à les décloisonner, les nuancer.
Lorsque l’on parlait autour de nous de la prochaine rencontre de la Marmite avec une sociologue féministe musulmane, on nous regardait avec de grands yeux en nous assurant que le voile est un signe de domination et non un choix. A la troisième remarque de ce type, on a commencé à comprendre l’agacement des femmes qui, comme Hanane Karimi, ont fait ce choix et font face à des remarques paternalistes ou maternalistes en tout genre.
Le 7 mars, c’est donc une délégation féminine du groupe Héritier qui va à la rencontre de Hanane Karimi. Elle se montre généreuse, simple et exigeante dans ses réponses.
Hanane Karimi revient sur les événements qui ont engendré la création du Collectif des Femmes pour la Mosquée, à Paris en 2013. L’Imam de la Mosquée de Paris avait décidé de faire entrer les femmes par une porte séparée et de les reléguer au sous-sol de la Mosquée. Hanane Karimi, accompagnée de 10 autres femmes, s’indigne de cette décision et de cette volonté de les rendre invisibles. Elles s’organisent et forcent l’entrée de la mosquée.
Tout au long de l’échange avec Hanae Karimi, l’une des participantes du groupe, d’origine valaisanne, rappelle certains parallèles entre le voile musulman et les coutumes de son village d’origine. A l’époque, les femmes portaient le foulard et l’église était séparée en deux secteurs : les femmes d’un côté et les hommes de l’autres.
Féminisme et identité
Les réflexions d’Hanane Karimi sur les droits des femmes et l’identité sont imbriquées à sa biographie. Dans son discours, elle mêle apports théoriques et anecdotes de son parcours de vie. Elle parle à la tête et au cœur.
Elle grandit dans une fratrie de 7 enfants, de parents immigrés marocains. Lorsqu’on lui demande d’où elle vient, elle se plaît à répondre qu’elle est « Hanane de Troie », ville des environs de Paris, qui l’a vue grandir. « Ca me donne un petit côté bourgeois », s’amuse-t-elle. Elle se rend compte très tôt que, même si elle a grandi en France, elle est sans cesse renvoyée à un ailleurs. A l’âge de 18 ans, alors qu’elle se réjouit de se rendre au Maroc pour des vacances familiales et de se sentir enfin chez elle, à peine la frontière franchie, un groupe de jeunes hommes s’approchent d’elle et de ses sœurs en les injuriant « immigrées, rentrez chez vous ! ». Cet été-là sera marqué par de grands questionnements identitaires. Hanane, tout comme de nombreux immigrants qui appartiennent à deux cultures, semble ne jamais se sentir chez elle. A son retour en France à la fin des vacances d’été, elle décide de porter le voile. Ses parents, conscients des discriminations qu’elle risque d’encourir le lui déconseille. Les réactions sont en effet immédiates : à l’école, on lui interdit l’accès aux cours. Alors qu’elle était considérée comme une bonne élève, le regard de ses enseignants change soudainement. S’en est trop pour Hanane Karimi, en quête de justice et de liberté, elle quittera l’école à 18 ans, refusant de se plier à ce qu’elle considère comme une violence institutionnelle. « Interdire ou imposer c’est la même logique ».
Son récit est ponctué d’anecdotes personnelles. Lorsque son fils devait indiquer le métier de sa mère sur les formulaires scolaires, il écrivait « féministe ». « J’ai détesté être une femme » nous confie Hanane Karimi. Après son départ de l’école, elle a le choix : soit elle retourne vivre chez ses parents dans un petit appartement ou elle se marie avec son fiancé de l’époque. Sa décision est vite prise : elle se maria et eu 3 enfants. Elle se souvient de cette période de sa vie comme d’un travail éreintant entre soin aux enfants, à son mari et le travail domestique invisible.
Elle décide de reprendre des études, fait une grève domestique en rentrant d’un séminaire de sociologie sur les questions de genres et fini par divorcer, dans un milieu où cela est particulièrement mal vu. Elle prend cette décision pour elle, mais aussi pour que sa fille ne pense pas qu’une femme doit se sacrifier pour sa famille.
Réponses à nos questions
Tour à tour les femmes du groupe Héritier lui posent des questions, pas vraiment celles qui se trouvent sur la liste des questions préparée. Le dialogue est fluide et les questions s’enchaînent :
Comment ça se passe la drague ? Est-ce que le voile a une signification particulière ?
– Oui c’est un indicateur que l’on est probablement une bonne mère et une bonne épouse. Avec un voile, je suis complètement invisible pour les hommes non-musulmans, mais pas pour les musulmans.
Est-ce que dans le Coran il est indiqué que l’on doit porter le voile ?
– Seulement 2 versets du Coran font mention du voile. Puis, ces sont les écoles juridiques qui font l’interprétation du texte et qui transforment les principes du Coran en lois. C’est à partir de cette loi coranique qu’il est indiqué de rabattre le voile.
Vous vous définissez comme féministe décoloniale, qu’est-ce que cela signifie ?
– Le but est de rendre visible ce lien à l’histoire coloniale, dans la pensée dominante et dans le féminisme, qui est porté en France essentiellement par des femmes bourgeoises et blanches. La vision décoloniale du féminisme nous oblige à prendre en compte la diversité sociale, intellectuelle et géographique et des femmes. On oublie parfois que la déclaration universelle des droits de l’homme a été écrite par des hommes européens. « L’universel, c’est le local moins les murs ».
Et nous, quel voile portons-nous ?
« J’ai l’impression d’avoir passé dans la machine à laver, c’était fort ! » nous confie, à la fin de la rencontre, une des participantes du groupe Héritier. On pensait aller à la rencontre d’une femme musulmane voilée quelque peu soumise et ce sont nos contradictions, nos rapports de pouvoirs et nos soumissions que l’on a rencontrés et qu’elle nous pousse à remettre en question. Quelle femme n’a jamais été confrontée à des discriminations ? Légitimité dans l’espace public, travail domestique, de soins aux parents, aux enfants, relation de couple inégalitaire, discours paternaliste, etc…
Nous poursuivons la soirée en assistant à la conférence d’Hanane Karimi, animée par Eric Vautrin, dramaturge du Théâtre de Vidy. La conférence ne dément en rien la générosité de Hanane Karimi ni la clarté dans ses propos.
Le lendemain, c’est le 8 mars, la journée internationale du droit des femmes. On ne pouvait pas imaginer une meilleure introduction que cette rencontre avec Hanane Karimi. Elle est française, marocaine et musulmane, femme aux héritages multiples qui les vit pleinement et nous invite nous aussi à nous exprimer dans toutes nos facettes.
Hanane Karimi, avec force, authenticité, indignation et vie, a su réveiller le féminin rebelle de plusieurs d’entre nous. Nous repartons chacune sur nos routes, reliée aux autres par la solidarité éveillée par cette rencontre.