Où il est question de tressage, de moutarde et de manioc
Présents : Mouna, Teka, Grace, Nadia, Thierry, Jean-Daniel, Émilie, Danièle, Sarah
Retrouvailles urbaines
Le RDV est donné dans le hall de la gare, sous l’« arbre » conceptuel proposé dans le nouvel aménagement de la gare CFF. Par temps calme on peut même entendre un enregistrement de sons d’oiseaux diffusé dans le faux nichoir qui y est suspendu. Nostalgie de la forêt qui nous mène à la représenter de manière artificielle dans nos villes?
Une participante arrive la première. Nous échangeons sur le refus fait aux personnes qui nous abordent pour de l’argent : la culpabilité mêlée à l’agacement, comment et qui on a aidé parfois sans connaître et sans rien attendre en retour, le soupçon, le trop plein. Et cette idée que, parfois, si on n’aide pas c’est quelqu’un d’autre qui aidera. Ou qu’on aide sans retour quelqu’un qui à son tour aidera une autre personne, dans une réciprocité indirecte qui nous relie.
Le relais de l’association arrive juste à l’heure, épuisée par une lourde semaine. Comme la marge prévue avant le train est large pour nous, cela fait une pause bienvenue, une bière partagée avec le musicien avant la soirée.
Tandis que l’un écoute ses messages vocaux, les billets sont pris suivant un savant calcul (qui est présent, avec quel abonnement), et les conversations informelles fusent. Nous parlons de notre appréhension d’un orage aussi violent que la veille et une météo qui reste incertaine.
Une participante à la journée très remplie nous annonce un retard qui risque de nous faire manquer le train. Nous décidons de prévoir deux groupes, une accompagnante l’attendra sans mettre tout le monde en retard. Nous l’attendons jusqu’au dernier moment, en contact par message vocal. Tandis que le groupe est déjà monté dans le train et garde la porte ouverte, elle traverse en courant la place de la gare et monte à grandes enjambées juste avant la fermeture des portes, son précieux pique-nique dans un bidon porté à bout de bras.
Trois jeunes filles montent à un arrêt intermédiaire, comme si elles avaient pris une douche toutes habillées : nous venons de traverser l’orage, dans le train !
L’arrivée à notre plage secrète est baignée d’une vapeur à peine évaporée de la récente pluie sur le goudron chaud. Le relais de l’association remarque des toilettes publiques et un magnifique vélo de voyage abandonné dont il faudrait seulement changer la roue.
Nous prenons nos quartiers sur la plage de galets. Se baignent une participante, qui ne sait pas nager mais reste où elle a pied, profitant de la fraicheur et du paysage, et 4 accompagnants, moyennant un prêt de maillot de bain. Nous observons la magnifique maison inoccupée dont le jardin foisonnant empiète sur la plage. Un artiste, membre de l’ALJF (Association Lausannoise pour le Logement des Jeunes en Formation, qui consiste à occuper des logements vides en négociant des contrats de confiance avec les propriétaires) a déjà cherché à savoir si elle pourrait être occupée, mais elle est vendue en attente de travaux. La table est dressée, le moment solennel approche.
Soirée conviviale de repas gastronomique partagé, le son accompagnant la saveur
La proposition est simple : apporter une bouchée pour chaque convive, et en lien avec la recette une chose à écouter (poème, chanson, histoire ou conte). Portés par la dynamique de nos rencontres rapprochées, nous sommes stimulés par cette double consigne, tant pour la cuisine que pour notre présentation.
Nous sommes tous partie prenante et d’accord, à part pour la notion de « bouchée », où le raffinement associé à la petite quantité renvoie à une approche gastronomique, de société d’opulence où « aimer » rime avec « sophistiqué » plutôt qu’abondance (serait-ce un concept de nanti ?).
La première participante nous propose d’ailleurs une boîte en aluminium avec un couscous comportant : la graine de semoule, la cuisse de poulet marinée 12h, les légumes savoureux et les raisins « cuits à part avec de la cannelle »… Une boîte par personne ! Elle a également préparé des patates farcies au riz (une demie par personne), et un gâteau à l’ananas. Vous en reprendrez bien une bouchée ?
La grande Fayruz accompagne cette délicieuse et malicieuse dégustation.
Nous poursuivons la ronde des mots et des goûts :
- samosa, met de fête somalien durant le ramadan et lorsque des invités arrivent, avec un poème de Maurice Carême, appris à Lire et Ecrire. Dans ce poème, le brouillard fait disparaitre la maison et les arbres, comme les nuages accrochés au Grammont en face de notre plage.
- doigts de fée, endive farcie d'enfance, car la forêt les sorties du parcours évoquent des souvenirs d’enfance : le sureau, des balades en famille. Et la réflexion sur nos recettes familiales, leurs origines, qui prépare quoi, où sont au juste nos origines et nos spécialités et aussi ce que signifient nos tatouages en termes d’appartenance.
- le pondou na foufou, avec une présentation du manioc entier, comestible cru, de la sauce verte faite des feuilles de la plante manioc, nourriture du pauvre que l’on agrémente parfois de viande selon les circonstances. Le participant écrit les paroles d’un chant à répons à la gloire de cet aliment, que nous prenons en photo afin de pouvoir suivre, qui avec le refrain, tel autre en frappant deux cailloux, tel autre encore en tapant dans les mains.
- aubergine sauce grecque, blé germé et grenade, avec le mythe de la grenade offerte à Perséphone par Hadès qui oblige la fille de la déesse des moissons à retourner aux Enfers 3 mois par an, durant lesquels rien ne pousse.Complété par l’écoute de La Grenade, de Clara Luciani.
- les « farçous » de l'Aveyron, genre d’omelette aux côtes de bettes, vert martien, accompagné du chant patois « se canto.. », souvenir de jeunesse transmis par les voisins âgés comme une pièce de l’identité locale. Comme si la musique et la nourriture nous parlait de l’identité.
- ceviche au poisson d'Equateur, où l’on retrouve Alfonsina y el mar, cette poétesse suisse dont le suicide en Argentine est chanté par Mercedes Sosa, que nous avions entendue au violoncelle lors du concert avec les étudiants de l’HEMU.
- soupe à la moutarde et gougères, une vraie bouchée raffinée, qui nous permet de comparer le piquant d’Afrique de l’Est (Somalie), de l’Ouest (RDC), et de Bourgogne. Quel piquant est vraiment piquant ? Où nous pique le piquant ?
Thierry nous fait écouter sa « fantasmagorie », pièce musicale composée de sons de notre parcours (bande originale du film, extraits de concert, paroles de notre guide de l’arboretum ou du comédien dans la forêt nocturne, retours de participants)
- salade de Guillaume (féta concombre pastèque, salade fraiche aux couleurs de l’Italie), et la légèreté badine de « Voyage en Italie » de Liliclub, qui nous promet des lendemains faciles, voyageurs et amoureux… Comme on en a besoin après cette année éprouvante de confinements où les projets et les partages sont mis à l’arrêt !
- gâteau à l'ananas, qui nous permet de chanter encore une fois Joyeux Anniversaire pour Thierry qui avait son anniversaire quelques jours avant Jean-Daniel lors de la projection du film.
Une participante qui s’est mise un peu en retrait commence à récolter des herbes sèches qu’elle tresse en amulette puis qu’elle remet à chaque participant comme un souvenir ou un grigri.
La richesse des goûts, récits et aparté est magnifiquement illuminée par le coucher de soleil coloré.
Nous évoquons les modalités possibles d’une restitution : Fête de l’association ? Spectacle au 2.21 ? Déambulation dans les rues du Flon au pied de l’HEMU ?
Voici l’heure du départ, mais nous connaissons déjà la marche nocturne. L’air est chargé d’odeurs de chèvrefeuille, la soirée aura été nourrissante, clémente et gaie.