Sortie théâtre en petit comité

Dimanche 10 décembre, dernière sortie de 2023. Nous avons programmé d’aller au théâtre de l’Arsenic pour voir le spectacle Inactuels d'Oscar Gómez Mata.

Au foyer de l’Arsenic, en attendant les participants

Malgré de nombreuses relances et un une dizaine d’inscriptions au départ, les désistements ont commencé à arriver au début de ce froid weekend de décembre et nous nous sommes retrouvées au bar de l’Arsenic seulement deux participantes, Ana et Grace, plus les deux médiatrices Laura et Émilie. Teka, que nous n’avions pas vu depuis 1 an et demi, est passé nous dire bonjour mais il n’a pas pu rester au spectacle car la durée de la pièce empiétait sur un autre rendez-vous. Cela questionne sur l’adhésion volontaire au projet de La Marmite, à la capacité d’organisation ou de priorités des participants, mais aussi à l’encadrement proposé en termes de dates, de fréquence ou de choix de spectacles…

Discussion sur le non visible qui intervient dans nos vies, exemples et anecdotes

Pour introduire le spectacle nous avons échangé sur l’inattendu, l’invisible, la magie, mais aussi l’inconscient et leurs possibles manières de se manifester. C’étaient les mots utilisés sur le site du théâtre pour parler de la recherche de Gomez Mata qui a conduit à la création de ce spectacle. Les références au spectacle étant assez floues, nous nous sommes servis de ces mots pour amener l’échange. Teka a joué avec nous avant de partir.  C’est donc en petit comité que nous nous sommes installées dans la salle, où une scène remplie d’objets disparates nous attendait.

 

Dans la salle Émilie, Ana, Grace et Laura

Nous avons eu peu de temps d’échange avec les participantes après le spectacle et cela nous amène ici à un point questionnant du carnet de bord. Est-ce le lieu pour parler du spectacle depuis notre regard de spectatrices ? Ou seulement notre regard de médiatrices sur le regard des participant·es ? Nous avons beaucoup discuté sur la fonction du carnet de bord et les limites de ce que cet espace peut accueillir. Néanmoins nous souhaitons parler de ce que nous avons vu, raison pour laquelle nous rédigeons ces lignes à la fois depuis notre regard de spectatrices, à la fois en tant que médiatrices d’un groupe que nous connaissons bien, même si ces propos restent partiaux et situés de notre côté.

Les vingt premières minutes du spectacle sont jouées en espagnol, ce qui exclut de la compréhension Ana, qui ne maîtrise pas cette langue et s’en plaint à la sortie. De sommaires sous-titres sont proposés sur le fond de la scène mais une grande partie du jeu s’appuie sur l’usage la langue et les implicites, jusqu’à ce que la « voix » du sous-titre abandonne en disant en substance « c’est n’importe quoi, ils ne disent pas ce qui est prévu, j’arrête ».  

Un moment du spectacle : transe du crocodile et danse du cache-sexe symbolique reçu en cadeau

S’ensuit une heure et demie de théâtre dont l’hermétisme, l’aléatoire et la surcharge presque baroque d’objets scéniques sont au service d’une réflexion personnelle sur l’usage du monde, parfois déroutante, parfois drôle mais qui ne réussit pas à nous tenir accrochées. Au début les deux comédiens sexagénaires semblent agités, focalisés sur la préparation d’un spectacle loin d’être terminé, tendres complices aussi. Le morceau traditionnel joué à la flûte et dédié à la sœur du comédien complète une vidéo très conceptuelle que les protagonistes regardent en riant.

Les moments de discussion ou doute alternent avec un certain surgissement de violence prise comme « pure énergie ». Les moments d’utilisation de l’espace et les objets ou de mouvements chorégraphiques alternent avec un discours plutôt méta réflexif sur le choix de montrer ou non cela, voire expliciter que la danse qu’ils viennent de produire est une imitation d’une transe à partir de l’animal-totem du crocodile…

Est-ce du lard ou du cochon ? Une manière d’attaquer le revival new age de la pensée magique chez le public d’art contemporain ? La présentation de l’humble cheminement des participants s’ouvrant à des dimensions spirituelles ? Est-ce le lieu de la scène que celui de partager cette recherche ? Difficile de s’identifier, d’adhérer à leur propos, tellement la limite est ténue...  L’idée serait de sortir de soi, de son ego, « off the face » pour toucher les moments de Quincunx, mot valise pour nommer le projet (pourtant non référencé), de recherche d’instants où la quintessence du monde non manifesté se trouve rendue visible.

Déformation professionnelle de pédagogue de théâtre qui explicite ce qu’il fait ? Ligne de basse du performeur qui pense ce qu’il co-crée avec le public ? Cette manière d’être à la fois dedans et dehors modifie les habitudes de représentation, à savoir que le public protégé du quatrième mur vient voir un produit fini, ou raffiné, construit pour lui. Ici c’est un processus incertain dont le public est témoin et acteur. 

Un moment d’adresse aux spectateurs arrive sur le thème des faiseurs de secret, ou coupeurs de feu, où les comédiens (tous les deux d’origine espagnole) partagent l’expérience d’avoir fait ce même échange sur le même sujet avec le public espagnol et dont le résultat constate une ouverture à la croyance magique chez les Suisses, que l’on ne retrouve pas chez le public ibérique.  Cela laisse songeur... Est-ce une prise de position méprisante ? Une critique ? Une manifestation d’étonnement ? Un émerveillement ?  L’approche interculturelle n’est absolument pas mentionnée, ce qui importe semble être uniquement la présence dans ce dispositif des deux comédiens et du public présent ce jour-là.

Quoi qu’il en soit, cette interaction avec le public semble tout à fait innocente à côté de la diatribe que Gómez Mata débite contre le directeur du théâtre de Vidy qui n’a pas soutenu l’occupation du Collectif 43m2 dans le foyer de son théâtre, en faveur des personnes sans-logis. Sous une intention de paix et de pardon car le comédien (ou le personnage ?) accepterait dans sa grande mansuétude de « loger Vincent Baudriller s’il en a besoin » en l’année 2034, date définie en intention pour devenir Prix Nobel de la Paix. Cela interroge sur la notion de pardon et de responsabilité, mais aussi la place du militantisme au théâtre, voire le sens même du théâtre, nous confrontant au choix d’être spectateur, alors qu’il y aurait tant à changer dans la société. Chose que les participant·es de La Marmite savent bien, mais pour laquelle ils ne sont potentiellement pas aussi favorisé·es socialement que le public de l’Arsenic. 

La fin du spectacle est aussi abrupte que le début, aussi aléatoire également, avec un espace d’objets dans un premier temps poétiquement reliés par des fils de laine, soutenant l’idée que dans cet univers il existe des liens invisibles entre les choses et les personnes. Puis, un des comédiens entre en scène les yeux bandés et, sans chercher la fluidité ou la délicatesse dans ce milieu entravé, tire les fils en marchant, fait tomber et ramasse tout par la force. Le chaos généré nous rend une scène ensevelie sous un tas d’objets hétéroclites, qui contraste avec le discours assez inclusif et sensible de la pièce. 

En sortant, l’une des participantes demande si ce spectacle serait indiqué pour rassurer une personne inquiète qui entend des voix dans la tête, car il traite de l’irrationnel et de la magie non explicable… Une manière sans doute de faire les liens entre ce qu’elle a vu et son univers de préoccupation, et de partager une douce folie entre humains quelle que soit notre place…

Nous partons perplexes dans le froid de la nuit, notre petit comité séparé rapidement à cause des horaires de train. Grace ramène chez elle Ana qui la remercie sur le groupe, nous ferons un retour sur cette sortie lors de notre prochaine rencontre en février 2024.

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