2e rencontre groupe Glissant- 17 octobre 2019

On se retrouve à l’Espace Mozaïk pour préparer la visite de l’exposition « Les cases de la mission » à l‘Espace Arlaud. Ils sont nombreux au rendez-vous et deux nouvelles personnes ont intégré le groupe : Mehari et Rajkumar.
Avant de commencer la préparation de la visite, nous revenons sur le mot « utopie ». On a fait des recherches et imprimé les traductions du mot dans la plupart des langues d’origines des participants, ainsi que dans d’autres langues inconnues de la plupart.
Les participants discutent nos propositions, proposent d’autres traductions et se portent volontiers volontaires pour écrire le mot en arabe, en tigrinya, en farsi…

On les entend prononcer ces mots avec des sonorités venues d’ailleurs, insaisissables pour nous, on les voit discuter entre eux, négocier la nuance du mot, reformuler… on a l’impression que ce n’est pas fini, qu’ils continueront à chercher la juste traduction de cette « utopie » encore longtemps.

Le moment est venu de présenter l’expo que nous irons visiter un peu plus tard.

Tout d’abord nous faisons part d’un élément inattendu qui viendra s’ajouter à cette sortie : un journaliste de la Radio Suisse Romande RTS qui prépare une chronique sur La Marmite accompagnera la visite au musée pour enregistrer quelques passages. L’association en a été informée au préalable et a donné son accord.

L’introduction à l’expo est un moment que, en tant que médiatrices, nous redoutons toutes les deux. En effet, nous sommes allées visiter l’exposition sur l’entreprise missionnaire suisse romande en Afrique australe entre 1870 et 1975 avant cette rencontre. L’inconfort et la honte que nous avons ressenties en regardant le contenu de cette installation se sont avérés un obstacle pour préparer la médiation. L’exposition est, à ne pas en douter, un reflet assez sincère de la violence et de l’injustice que la mission évangélique a véhiculé dans sa démarche ; l’illustration effrontée de la supériorité du savoir de l’homme blanc européen sur les Africains et l’incarnation de la condescendance avec laquelle l’Église reformée vaudoise s’est investie dans sa mission de « sauvetage » des âmes et défense de la culture occidentale.

Puisqu’aucune de nous deux ne s’est sentie capable de conduire une visite entière de l’expo, nous avons contacté l’Espace Arlaud qui nous a généreusement offert une visite guidée par une des commissaires de l’exposition qui est collaboratrice de recherche au Musée cantonal d’archéologie et d’histoire. Elle nous a également fourni une grande quantité de matériel pour la préparation de la visite. Grand merci à elle !

Étant donné que le groupe est composé, en partie, des ressortissants africains issus des anciennes colonies, nous commençons tout d’abord par leur faire part de notre inconfort. Mais c’est assez abstrait pour eux, peut-être à cause de la langue, peut-être à cause de notre rôle de médiatrices… alors, on passe vite à autre chose. Nous thématisons la question des colonies à l’aide d’une carte géographique du continent africain avec la répartition des anciens protectorats des pays européens et leur demandons si dans leurs pays d’origine, il y a encore des influences des pays colonisateurs.

Nous les entendons raconter les traces des colonisateurs qui s’affichent encore dans leurs villes : les langues imposées, les coutumes importées de l’Occident, l’architecture de la ville, les loisirs et coutumes sociales, et d’autres traces qui perdurent encore.

A l’aide de quelques images illustrant des objets que nous allons retrouver plus tard au musée, nous thématisons l’opposition entre la culture locale et celle imposée, le commerce des objets, l’artisanat… Et pour finir, la BD sur laquelle s’est basée cette expo et qui, bien qu’étant une fiction, raconte l’aventure religieuse de cette autre colonisation pendant les colonies.

C’est le moment de partir. En plus des médiatrices et de Stéphane Blok, l’artiste, le groupe est accompagné de deux relais de l’association, Anaïs et Awa. L’Espace Mozaïk se trouve à quelques minutes de l’Espace Arlaud et nous marchons tous ensemble sous une fine pluie d’automne. L’occasion de faire plus ample connaissance sur le chemin. La médiatrice du musée et le journaliste de la RTS nous attendent dans le hall. Après les présentations, nous commençons la visite.

Pour décrire cette visite, on pourrait imaginer un circuit de lignes se traçant et s’entrecroisant de manière simultanée. Cette visite semble avoir été appréhendée fort différemment par les différents acteurs, comme un parcours en parallèle avec certains chocs, des approchements : il y a d’abord la médiatrice du musée que met en place un visite extrêmement professionnelle et qui réussit à capter toute l’attention des participants ; il y a le journaliste de la radio qui enregistre et échange avec tous ; il y a nous, les médiatrices, devant revivre la sensation d’inconfort de la première visite qui essaient de comprendre et justifier, vis-à-vis des autres, le choix de cette visite pour une première sortie; il y a l’artiste, lui aussi pris d’un sentiment de malaise et d’incompréhension ; il y a finalement les participants qui se montrent curieux et nullement critiques : est-ce dû à une certaine incompréhension ou à la gratitude d’avoir pu effectuer cette sortie ? De fait, ils nous en remercient.

Une fois la visite finie, on reprend notre souffle, soulagées d’être dehors. Même la pluie, qui ne s’est pas arrêtée entretemps, nous semble libératrice. Nous nous installons au café « Le Vaudois » pour partager un moment avec le groupe. Ils nous disent qu’ils ont beaucoup aimé cette visite ; on apprend que, pour certains d’entre eux, c’est la première fois qu’ils vont au musée. On discute, on rigole, on passe ensemble un moment convivial. Aucun d’entre eux nous fait part d’un malaise quelconque sur le contenu de l’expo. Aucun ne se dit choqué ni offensé par ce qu’il a vu.
Cependant, pour nous, le sentiment de malaise peine à s’estomper.