Résonnances personnelles
Résonances personnelles du livre La place d’Annie Ernaux
Lors de notre présentation du livre La place d’Annie Ernaux, j’ai ressenti un besoin quasi essentiel de faire part des résonances que le livre avait eues sur moi concernant ma propre famille. En effet, l’ouvrage dépeint la vie d’un homme qui m’a profondément touché par ses similitudes avec mon grand-père. Annie Ernaux décrit son père dans une œuvre cathartique et sincère. Elle raconte la façon dont celui-ci voit le monde. Elle parle de son humilité ou de sa volonté de ne pas provoquer un sentiment de honte face à « ce qu’il est ». En somme, elle retrace avec un souci d’exactitude les habitudes d’une famille française vivant dans la simplicité.
Mes grands-parents, eux, ont quitté la Sicile d’après-guerre avec presque rien, si ce n’est leur courage. Ils sont arrivés en Suisse dans les années 50 lorsque l’hospitalité envers les Italiens n’était pas vraiment le maître-mot. Cette époque a été le fruit de nombreuses histoires racontées maintes fois dans la famille tant cette période avait dû être dure pour eux.
Quelles étaient les raisons qui poussaient ma famille à transmettre inlassablement ces récits ? Était-ce la fierté ? Était-ce pour relativiser d’éventuels soucis de notre quotidien ? Ou pour continuer à faire vivre nos grands-parents à travers les générations ? Je me dis que c’est peut-être pour toutes ces raisons-là. Quoi qu’il en soit, ces histoires font parties intégrantes de mon enfance et c’est probablement pour cela que certains passages du livre ont trouvé un écho significatif en moi.
Tout comme le père d’Annie Ernaux, mon grand-père a toujours été un homme discret. Vivant de choses simples, se nourrissant d’instants en famille dans une vie routinière qui avait pour lui un aspect rassurant. Je retrouve beaucoup d’extraits du livre qui décrivent cela. Je revois systématiquement la figure de mon grand-père dans les lignes de l’ouvrage et je suppose que je suis loin d’être le seul. D’ailleurs, le quatrième de couverture dit les mots suivants : « ce récit dépouillé possède une dimension universelle » et je pense que c’est pour cela que, comme moi, beaucoup de gens on dû reconnaître l’image d’un père, d’un frère ou d’un grand-père.
Malgré tout, ce n’est pas en cela que l’ouvrage m’a spécifiquement touché. Au-delà des parallèles que j’ai fait entre cette histoire et la vie d’un grand-père aujourd’hui décédé, ce qui a provoqué une vive émotion en moi se situe ailleurs dans le livre. En effet, Annie Ernaux explique les raisons qui ont fait de son père ce qu’il est. C’est sur cet aspect bien précis que l’ouvrage a eu un impact si fort dans ma conscience. Il a apporté une dimension supplémentaire à la vision que j’avais de mon grand-père. C’était un peu comme si lui-même venait mettre des mots, des émotions sur des choses que je n’avais jamais pris le temps de comprendre. Ces choses qui étaient si naturelles, si familières, si quotidiennes et que je n’ai jamais cherché à interpréter me sautaient aujourd’hui au visage. Je comprends mieux maintenant ce qui motivait ses journées, ce qui le poussait à cultiver cette routine. Je perçois également plus clairement les raisons qui ont fait de lui un homme sans grandes ambitions professionnelles. Mon grand-père vivait ses ambitions au travers de ses enfants et cela lui suffisait.
En commençant l’œuvre d’Annie Ernaux, j’étais loin de m’imaginer en tirer quelque chose d’aussi fort. Ce livre m’a offert la possibilité de retrouver, le temps d’un instant, une personne importante à mes yeux et d’estimer plus encore son parcours ainsi que ses choix de vie.
Merci également à vous de m’avoir donné la possibilité de le lire, j’espère que ce petit texte vous a intéressé. En tout cas moi j’ai pris du plaisir à l’écrire.
Jamy Bella Bancaleiro, janvier 2018