Critique de la vitesse
La vitesse prétérite l’observation.
L’observation est essentielle, vitale. Elle permet de se raconter plusieurs histoires, d’autres histoires, de saisir le sous-jacent, le sous-entendu, la subtilité.
La vitesse empêche le vide.
Le vide autorise l’évasion, l’écart de plume, une certaine audace. Le vide permet aussi à l’intelligence humaine de se déployer, de mûrir.
La vitesse endigue l’ennui.
Plus vraiment d’actualité, puisqu’annihilé par la vitesse, l’ennui effraye et génère chez bon nombre de gens de l’inquiétude, une forme d’insécurité. Il est pourtant prouvé, notamment chez l’enfant, que l’ennui est source de créativité, d’explorations imaginaires insoupçonnées. L’ennui permet de se recentrer indépendamment de toutes stimulations, de toutes préoccupations. L’ennui n’est pas synonyme d’oisiveté. Il permet une forme d’élaboration psychique, de réflexions nouvelles.
La vitesse déjoue la temporalité, impose le présent.
On ne peut pas se contenter de vivre au présent. Se remémorer ou se projeter. Revivre ou se préparer à vivre. Analepse ou prolepse. Les va-et-vient temporels sont fondamentaux.
La vitesse sert le grand capital.
Progressivement, les valeureuses et presque emblématiques caissières de Coop ou Migros assistent impuissamment à une mutation, une expropriation de leurs emplois au profit de bornes sans humeurs ni regards. Non seulement une profession se robotise, donc se meurt (les libéraux diraient qu’elle « se transforme »), mais en plus de cela, c’est à nous-mêmes que revient la tâche autrefois réservée aux caissières.
De notre côté, nous qui au passage n’avons pas choisi cette inversion des rôles (et qui d’ailleurs ne sommes pour ce faire pas rémunérés), notre « rôle » a désormais changé à l’égard du capital. Autrefois complice voire otage de ce dernier, nous voilà réduits à de véritables acteurs du rouage et de la mécanique ma foi fort bien huilés du capitalisme fou.
La vitesse contrecarre la création de lien.
Le lien existe, certes, mais demeure néanmoins fragile puisque souvent réalisé dans la précipitation donc dans l’approximation, l’à-peu-près.
La vitesse est aussi culturelle.
Le voyage selon Nicolas Bouvier, le temps selon Samuel Beckett valent mieux qu’un week-end « all inclusive » à Djerba ou qu’un film mainstream « made in US ».
La lenteur inspirante d’un trajet en train vaut mieux qu’un vol « tronqué » en avion.
Antoine Maillard, participant du Groupe Galilée.