Rencontre avec Alain Badiou, mars 2018

1er acte
C’est au Toulourenc que nous nous retrouvons pour une présentation par Mathieu Menghini de l’intellectuel Alain Badiou. Après une brève introduction sur la vie et la pensée de cet homme de 80 ans, nous regardons ensemble une interview télévisée.
La vision de la politique et de la citoyenneté que propose Alain Badiou suscite de nombreuses réflexions et échanges dans le groupe. Sur les six personnes présentes, plusieurs le connaissent déjà à travers ses écrits ou ses prises de position dans les médias.
Hugo nous relate alors sa rencontre avec lui à Genève lors de son passage aux Bastions chez les Indignés de Genève (2011/2012). Il nous parle par la même occasion de son engagement politique au côté du mouvement Antifa.
Toutes les personnes présentes ont déjà des questions à lui poser. Jean-Claude souhaite l’entendre autour de sa conception radicale du communisme et de ses familiarités avec l’anarchisme mais également sur notre système fédéraliste.
Au-delà des questions de politique, Fabrizio souhaite le questionner sur sa vision de l’amour, disant que les philosophes et les anciens en général ont toujours beaucoup de choses à nous apprendre.
Claudia et Hugo n’arrivent pas encore à formuler de questions mais souhaitent faire le lien avec leurs expériences de la politique en Amérique latine (Bolivie, Cuba).
Enfin, Claudia très en retrait durant toute la soirée, me confie se réjouir de rencontrer ce grand intellectuel plein d’humour tout en avouant se sentir totalement démunie face aux questions politiques et philosophiques qu’il soulève.

Avant de nous séparer, nous décidons ensemble de l’animation de cette rencontre d’une heure avec Alain Badiou. Plutôt que ce soient les médiatrices qui animent et relaient les questions collectées, le groupe se met d’accord pour que chacun puisse prendre spontanément la parole et avoir un temps d’échange personnalisé avec M. Badiou. Eliane introduira l’échange en présentant brièvement le parcours du groupe Pelloutier au sein de la Marmite ainsi que la nature spécifique du groupe.

 

2ème acte
Nous retrouvons le groupe sur une terrasse de la vieille ville avant de rejoindre la Maison Rousseau. Il règne une joyeuse excitation et une profonde gratitude à l’idée de vivre cette rencontre intime avec ce fameux intellectuel. Rachel espère qu’elle ne sera pas submergée par l’émotion et qu’elle réussira à exprimer ses questionnements vis-à-vis de la pensée d’Alain Badiou. Fabrizio quand à lui est galvanisé par cette rencontre et s’est mis sur son 31.

Alain Badiou inaugure cette rencontre en disant son plaisir à nous rencontrer et redit à quel point il croit à ce type d’échange intimiste au plus près des réalités humaines. Il rappelle que pour lui la philosophie s’adresse à tout le monde et surtout pas uniquement aux intellectuels. Il se relie au groupe de façon directe en parlant brièvement de sa propre expérience de l’addiction. Il nomme le sentiment de liberté que celle-ci lui a procuré au début puis le pouvoir que celle-ci a exercé sur lui ensuite. Avec simplicité, il parle du long chemin qu’il a dû expérimenter pour sortir de cette dépendance et de ce qu’il a appris sur lui et sur la vie grâce à cette addiction.

Fabrizio parle de son rapport à l’addiction et de son expérience d’abstinent qui lui fait découvrir la vie et ses nombreux questionnements. Il insiste sur le fait qu’il découvre une nouvelle possibilité d’être avec le monde et que cela n’est pas simple à vivre. Alain Badiou insiste sur la chance de vivre cette nouvelle expérience ainsi que sur le fait que l’abstinence est une réelle conquête (une lutte et un combat) qui doit être entrevue comme un plus et non un moins.

Hugo parle de son engagement dans le mouvement des Indignés et de sa croyance que chacun a les moyens de transformer la société à son niveau, même si on est au bas de l’échelle. Alain Badiou insiste sur sa proximité avec les démunis et sur la souffrance et le courage qu’il faut pour se quitter soi-même et sortir de qui l’on est. Etre démuni, c’est penser qu’on n’est pas capable et chacun de nous se trouve dans cette position de démuni plusieurs fois dans sa vie. Or découvrir qu’on est capable de quelque chose dont on pensait ne pas être capable est pour lui la définition même du bonheur.

Rachel évoque son parcours et sa lutte pour être abstinente. Alain Badiou lui demande si elle sait pourquoi elle consomme, ce qui a motivé ses premières consommations ? Elle répond que c’était pour être différente mais qu’ensuite cela est devenu une nécessité, une obligation. Alain Badiou fait le lien avec les politiques qui sont pour la plupart dans l’addiction au pouvoir, installés dedans et incapable d’en sortir. Il insiste sur l’expérience de la sortie de l’addiction comme une expérience transposable dans beaucoup de situations humaines.

Claudia évoque son histoire de vie et sa lente et sournoise entrée dans l’addiction ainsi que sa lutte quotidienne pour être abstinente. Elle parle également de son pays la Bolivie et de l’arrivée d’Hugo Morales au pouvoir qui, malgré tout ce que l’on peut dire sur lui, a permis à plus de 50% de la population d’obtenir une identité à travers l’obtention d’une carte d’identité. Alain Badiou insiste sur le fait qu’être citoyen, c’est avoir une place mais plus encore trouver Sa place. Dans la même idée, le chemin de l’abstinence donne la possibilité d’un nouveau rapport à soi-même et aux autres, c’est la conquête d’une nouvelle identité. « Vous êtes votre propre Morales !» lui lance-t-il.

Gaspard questionne plus directement Alain Badiou : « Comment voyez-vous le monde ? » Alain Badiou rappelle que cent personnes possèdent les richesses des trois autres milliards d’humains. Le monde est donc extrêmement inégal et c’est dans ce contexte que s’exerce la démocratie. Il insiste sur l’importance d’avoir conscience de cette situation afin de ne pas nous laisser aveugler en acceptant de fait cette situation : « Nous ne sommes RIEN, soyons TOUT !» suggère-t-il.

Comment devenir dans ce contexte acteur de changement ? Alain Badiou nous rappelle que c’est toujours à partir de sa place que nous pouvons changer quelque chose et nous suggère de commencer par rappeler à notre entourage que cent personnes possèdent les richesses des 3 autres milliards. Les changements politiques commencent toujours par un engagement personnel dans son contexte et s’opèrent ensuite dans un élan et une pulsion collective créant un événement et un mouvement de masse. Il nous rappelle que l’engagement renvoie à la question de notre capacité à tenir dans la durée et avec patience.

Claudia lui demande alors ce qu’il pense de la situation de la femme dans le monde et comment peuvent-elles s’y prendre pour obtenir l’égalité des droits vis-à-vis des hommes ? Alain Badiou nous rappelle alors la trame de Lysistrata, pièce de théâtre d’Aristophane en 411 avant J.-C. et suggère, non sans humour, que nous avons des moyens puissants pour nous faire entendre et obtenir ce que nous voulons.

 

3ème acte
C’est pour une grillade dans le jardin du Toulourenc que nous nous retrouvons pour parler de l’après-coup de notre rencontre avec Alain Badiou.
Chacun exprime à sa façon combien il a été touché par ce moment magique et intime. La finesse d’Alain Badiou d’avoir su rejoindre les personnes du groupe dans leur parole pour la remettre en perspective avec l’universel est saluée par certains. Claudia souligne la facilité de l’échange et de la compréhension de ses propos. Fabrizio parle des larmes qui lui sont montées plus d’une fois durant la rencontre, profondément ému par la finesse et l’humanité de ce grand homme.
Nous profitons de cette soirée pour enregistrer les témoignages de chacun autour de sa vision de la citoyenneté en vue de l’exposition en automne de Steeve. Il profite lors de cette soirée de faire des images de chaque personne du groupe.
C’est une soirée conviviale et joyeuse. Claudia dira même qu’elle a le sentiment de partager un repas en famille et que cela lui fait beaucoup de bien car ses repas en famille ne sont pas vraiment détendus !
C’est vrai qu’on se sent bien ensemble et que le Parcours Pelloutier a su créer au fil des sorties du lien, du vécu commun et beaucoup de convivialité.