Quatrième rencontre

Le doux commerce

Rencontre au Musée d’ethnographie de Genève (MEG) avec Catherine Larrère, philosophe française et professeure de philosophie émérite

Le Musée est beau, il est neuf et grand. Nous ne sommes pas encore là pour visiter le MEG, mais dans le but de rencontrer Catherine Larrère.

Avant cela, il faut dire que nous sommes aujourd’hui orphelins de nos conteuses. L’horaire précoce (17h) a en effet rendu impossible la venue de la plupart d’entre elles.

Nous sommes disposés en carré. L’ambiance salle de classe m’incite à présenter notre groupe sous une forme généreuse, profilant nos personnalités, parcourant nos débats. Alice présente notre réflexion sur la question des modèles de sociétés.

Notre interlocutrice nous met tout de suite au parfum :
« C’est toujours plus rassurant de s’imaginer les tribus de chasseur-cueilleur comme des collectivités pacifiques. Or il n’en est rien, les échanges et la violence inhérente à ces échanges ont toujours existé, sans devenir pour autant une fatalité. »

L’avènement de l’agriculture a toutefois engendré une situation inédite dans l’Histoire. La sédentarisation des peuples et l’épuisement des sols ont crée le besoin de conquérir d’autres espaces dans le but de s’y installer. Dès l’Antiquité, on a donc affaire avec une colonisation de conquête.

« Le commerce plutôt que la guerre »
Sous Aristote déjà, les Grecs font l’expérience des aspects positifs du commerce face à des guerres coûteuses et inefficaces. Le commerce ne signifie pas corruption, au contraire. Il a longtemps été perçu comme le vecteur de contacts fondant notre humanité commune. Mais le commerce et la guerre avancent ensemble, ils sont intimement liés l’un à l’autre.

« Le commerce corrompt les mœurs pures »
Platon introduit quant à lui un certain mépris face au commerce. Quand bien même le commerce est préférable à la guerre, il n’empêche qu’il s’immisce insidieusement dans les notions positives de dons, de gratuité et de solidarité.

« Les vices privés font la vertu publique »
Quelques siècles plus tard, Bernard Mandeville concilie ces deux visions dans un ouvrage qui inspira le fondateur du mouvement libéral Adam Smith. Il donne le principe de l’économie de marché, pariant sur des mécanismes d’autorégulation spontanée de la société sur la base de comportements individuels orientés vers l’intérêt personnel.

« Le doux commerce »
Montesquieu balaie quant à lui toute idée de vice privé. « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Les effets pacificateurs du commerce s’observent aussi bien dans les conduites privées, dans les mœurs, qu’au niveau politique, entre les États comme au sein de ceux-ci. Le commerce adoucit les mœurs parce que, en multipliant les échanges – et donc aussi les voyages –, il rapproche les gens et multiplie les comparaisons, favorisant la tolérance. » En guise de conclusion, Montesquieu affirme que le développement du commerce renforce le lien social, assure les libertés individuelles et régule les excès du pouvoir. Il contribue en ce sens au libéralisme, tant économique que politique.

C’en est trop pour notre joyeuse équipe ! Levée de bouclier : « La réalité c’est plutôt celle du monopole. Le modèle est déséquilibré. Etre libre, c’est simplement être le plus fort » constate Pacho.

Le temps est venu pour notre interlocutrice de nous expliquer comment elle parvient à concilier l’estime qu’elle porte à la pensée libérale de Montesquieu avec sa pensée écologiste. Pour elle, la question est surtout de savoir comment en préserver les avantages très nets.

Au bout de la soirée, on est un peu KO. La rigueur intellectuelle de la philosophe française ne permet jamais de prendre position, encore moins d’envisager des solutions. Les idées sont intéressantes mais dans l’ensemble nous sommes relativement dubitatifs quant à la possibilité d’un commerce positif et compatible avec la préservation de l’environnement et l’application des droits humains (développement durable). Après cette rencontre, nous sortons avec le sentiment d’être plus intelligents, plus nuancés qu’avant, mais la balance nous épuise car l’urgence est restée la même.