Décembre au Théâtre du Grütli
Notre première sortie a inauguré la saison, le mercredi 21 décembre 2022, avec le spectacle Mer Plastique de Tidiani N’Diaye, chorégraphe et danseur.
Pour cette sortie en tout petit comité, je retrouve Naïlza au bar, Jean-Marie nous rejoint un peu plus tard dans la salle.
Mer plastique est un spectacle de danse. Il évoque une situation dramatique au Mali.
Des enfants, des femmes, des jeunes et des vieilles personnes travaillent dans des décharges afin de pouvoir gagner quelques sous, au détriment de leur santé. Des montagnes de déchets s’accumulent, les vapeurs toxiques, générées par leur combustion en plein air, polluent l’air respiré par les populations voisines. Parmi ces déchets, le plastique, qui envahit tout, comme des rivières qui se fraient un passage dans les villes.
Sur scène, trois danseuses et deux danseurs. Flora Schipper, Andréa Semo, Kaïsha Irma Essiane, Eric Nebiè, Souleymane Sanogo.
Le programme nous apprend qu’ils ont beaucoup participé à la création, notamment par des improvisations durant les répétitions.
En effet, nous assistons à un ensemble, une chorégraphie qui fait appel à une création chorale tout en donnant de la place, par moment, à chaque protagoniste, s’emparant de l’espace.
La scène est envahie de milliers de sachets plastiques de couleur. C’est une scénographie - de Silvia Romanelli - qui dessine un espace mental, dresse une géographie mouvante, évoquant les montagnes de plastique échouant au Mali ; nous sommes aussi interpellé.e.s par la matière en elle-même, par ses qualités intrinsèques, sa légèreté, sa fragilité apparente, et son utilisation détournée, ici sur cette scène, parfois malmenée, foulée, par les corps des danseuses et danseurs. Elles.Ils disparaissent sous les épaisseurs plastiques, deviennent des étranges créatures colorées, difformes.
C’est parfois très beau. Très coloré, presque joyeux. Vivant et mouvant. Ce spectacle ne nous laisse pas de répit, c’est intense, pas de temps mort, les sacs plastiques sans cesse en mouvement par les gestes et les danses des protagonistes, s’envolent comme des papillons dans un bruissement obsédant.
Jonathan Seilman a composé la musique. Il a intégré dans sa composition des bruits de plastique, ceux aussi faits par les danseurs en répétition. Ces sons ont ensuite été travaillés de manière à rassembler aux sons des vagues, de la mer. Le musicien a également travaillé avec un instrument, un whalophone (qui se joue avec un archet, et qui peut produire des sons étranges ou évoquer la mer). Et également avec un claivier modulaire des années 70.
Un whalophone
On nous avait pourtant prévenu avant le début du spectacle et en recevant des protections pour les oreilles à l’entrée de la salle. Pendant une séquence du spectacle, la musique serait très forte.
Effectivement, peu avant la fin, le volume sonore est devenu de plus en plus fort, jusqu’à être, pour certaines et certains, insupportable, malgré les protections, les mains sur les oreilles en guise de filtre ; quelques spectateurs ont déserté la salle.
A la fin du spectacle, nous nous quittons très vite. La fatigue, cette épreuve sonore nous laisse sans voix.
Ce spectacle, très intéressant pour une part, a laissé d’un autre côté une trace d’agacement, de déplaisir, un sentiment d’avoir été heurté de manière désagréable.
Nous sommes aussi un peu décontenancé·e·s, nous ressentons une sorte de malaise, entre autre face à notre émotion provoquée par la beauté esthétique de cette création scénique.
Nous avons à plusieurs reprises, lors d’autres sorties, évoqué ce spectacle et les questions qu’il nous avait suscitées avec d’autres membres du Chœur. Laurence, après avoir écouté nos souvenirs et qui n’avait pas vu ce spectacle, nous a relancé.
De mémoire, je retrace quelques réflexions :
- Est-ce que l’on peut assister à un spectacle qui traite de sujets difficiles, voir problématiques en étant, en tant que spectateur, dans une situation confortable, sans être affecté ?
- Pour que ce spectacle prenne sens, ne faut-il pas être incommodé, ressentir physiquement un malaise ?
- Ne faut-il pas être réellement pris à partie physiquement ?