Jeudi 27 février – rencontre à Vidy avec Noémi Michel
Jour de pluie. Nous nous retrouvons avec quelques participants à la gare, et nous arrivons en retard à Vidy. D’autres participants qui ne peuvent pas se libérer plus tôt nous rejoignent au cours de la soirée.
Un petit tour de table pour présenter notre relation à Palabres ou à la Marmite. Parle-t-on de son origine ? Noemi Michel choisit de le faire, car pour elle la « palabre » est un art, parler une activité importante, elle a reçu ça de son père Haïtien.
Nous associons ensuite à nos prénoms un geste, minuscule, mais étrange car il dure. Une manière d’apprendre nos prénoms.
Yaquub propose ensuite sa « danse des bâtons », qui nous mène à nous lever, nous connecter, sentir l’autre et soi, s’accorder. Pour Noemi, c’est lui rappelle une histoire qu’elle a lue, où des aliens ont des tentacules pour sentir, toucher, connaitre et modifier les hommes.
Nous lisons à l’écoute, sans ordre préétabli, des extraits de paroles des participants sur le thème de l’étrange :
As-tu en mémoire une SENSATION de l’étrange ?
Pour moi c’est des choses bizarres, difficiles à accepter, en lien avec le corps. Ca me donne un mouvement hyper bizarre. Ma sensation me dit de faire tout pour l’éviter cette personne étrange.
C’est à 7 ans que j’ai eu cette sensation de rejet de l’étrange pour la première fois et mon père m’a dit « arrête ! ». Je suis mal de ma part de jugement, je sais que je ne dois pas juger les autres, les rejeter, je ne dois pas sentir ça, mais c’est là. Je n’en ai pas parlé avant, à personne.
C’est quoi ta REACTION face à l’étrange ?
Ca me fait penser que la société a un format, même si on a des familles, des cultures différentes, elle a un format. Et c’est tous ces gens qui veulent s’intégrer à la société mais qui restent étranges, à part.
Dans le film, par exemple, c’est terrible, le personnage principal, elle a perdu son ancien monde où elle avait réussi à s’intégrer, faire tout bien, elle a trouvé son nouveau monde mais à travers quelqu’un qui est horrible, en fait. C’est triste.
C’est bizarre comme manière de parler : « étrange », « inconfortable », « sortie de la zone de confort », « nouveau », « mal à l’aise », « envie de vomir », d’où me vient cette sensation ?…
L’étrange désoriente, mais d’où on tient cette normalité, pourquoi on n’accepte pas, pourquoi on est pas indifférent. Tu ne veux pas voir ça.
Cette nouveauté, cette chose inhabituelle est une violence ? L’autre t’agresse juste parce qu’il est différent de ton cadre habituel ?
Tout ce qui nous ressemble nous rassure.
Quand quelqu’un joue sur un terrain de foot on regarde pas son jeu on regarde la couleur de sa peau. C’est ça le sujet encore aujourd’hui. On peut regarder une femme parce qu’elle est femme ou qu’elle se fasse insulter parce qu’elle est femme, encore aujourd’hui. Pourquoi ça traine encore au 21ème siècle ?
L’étrange ça veut dire que l’autre peut être normal, mais c’est ce que dit la masse en force qui fait qu’on est étrange.
Ce qui est étrange c’est ce que je n’ai pas découvert encore. C’est ce qui me fait de la surprise, positive comme négative. Mais c’est pas question de refuser, je l’ai adopté, ça dépend pas de moi, je dois accepter les choses comme elles m’arrivent, les choses qui m’entourent. Après je prends ma décision, je m’approche, je m’éloigne, mais je ne refuse pas.
Moi aussi je me sens étrange des fois.
Est-ce que l’étrange c’est pas plutôt la solitude, de se sentir séparé des autres ?
Est-ce que l’étrange c’est la LIBERTE, pouvoir aller vers la nouveauté ?
Pour moi l’étrange c’est la liberté parce que je connais des gens qui ont la langue coupée en deux, des modifications corporelles, ils se font des cornes, des tatouages sur tout le corps. Pour eux, être étrange, c’est une liberté de s’exprimer.
Si quelqu’un est différent de la masse il revendique une liberté mais il est aussi dans un moule qui est pensé vis-à-vis de la référence, de la norme. Il est toujours dans la norme, il veut ressembler à quelque chose qui préexiste. De quel côté tu es libre ? Est-ce que tu peux te référer à toi-même ?
Je suis plus libre parce que c’est un autre système, mais je suis très visible, et comme il y a toujours quelqu’un qui me regarde je ne suis jamais invisible, je suis moins libre finalement. Etre libre c’est être anonyme, pouvoir être invisible.
C’est assez inconfortable.
Moi je n’ai pas de sensation de l’étrange, je me concentre juste avec moi dans la vie, je ne fais jamais des AH ! des OH !. Je crois que nous sommes tous comme des empreintes digitales, chacun spécifique dans son genre.
Cela nous permet de rebondir sur différents thèmes : la liberté, les stéréotypes, pouvoir choisir ce que l’on dévoile de soi ou non, accepter et devenir les masques que l’on nous tend.
Etre femme, être noir, être algérien, être musulman, être gros, être métis, être arabe, être étranger, étrange…
Noémi nous parle de Sunra, un musicien free jazz américain qui à force de se sentir étranger tout le temps dans tous les lieux, a décidé qu’il venait d’une autre planète, et vit dans sa communauté où une valeur importe, celle de la musique.
Mais par notre besoin d’être relié, comment peut-on à la fois nous relier aux autres, se protéger, et être soi-même, se référer à soi ? Quels sont les espaces où l’on choisirait de dévoiler qui on est, curieux de la rencontre ?
Palabres ? La cuisine ? L’art ?
Enfin, Tilo présente le travail photo sur les miroirs réalisé deux jours plus tôt. Il fait défiler les photos comme un scénario :
Se mirer.
Refléter son voisin, le regarder à travers le miroir.
Refléter le voisin mais le regarder directement.
Tourner le miroir vers l’extérieur à grâce à un œil externe l’orienter pour que l’objectif y capte un autre visage.
Noemi se demande si c’est un montage, avec des téléphones. Le montage exige d’être plusieurs, le téléphone peut nous permettre d’être seul. C’est une boîte que l’on peut utiliser de plusieurs manières.
Kamilou nous parle d’un texte de jeunesse sur le miroir. J’aime le miroir, ce que j’y vois. Mais le miroir est muet. Le miroir qui parle, c’est l’autre, et il est parfois comme un miroir « mal-poli ».
Pour Noemi, l’étrange permet de voir toujours l’autre côté, ce n’est pas direct et bien défini. L’étrange donne du mouvement.
Serdar questionne le choix du mot intellectuel, qui veut dire en kurde « éduqué, qui parle beaucoup de langues ». Pour Noemi on n’EST pas intellectuel, mais on FAIT UN TRAVAIL intellectuel. C’est accepter à tout moment qu’on a tort, qu’un mot n’est jamais défini pour toujours. Ce soir elle va parler de « la voix » dans la rencontre publique, et dans deux ans elle pourra penser différemment sur ce sujet.
Nous partageons un repas dans le foyer animé de Vidy.